Publier le : 8 FÉVR. 2013 PAR FADELA HEBBADJ BLOG : LE BLOG DE FADELA HEBBADJ
Têtes penchées sur l’épaule, yeux et bouches clos, ces femmes portent en elles une humanité en miniature. Elles sont pleines de femmes et d’hommes qui débordent de leur ventre, pleines de corps trop à l’étroit. Ce fourmillement d’être humains est oppressant. Serrés les uns contre les autre, ils forment à eux seuls tout un monde en germination. Le seul organe vivant semble être celui de la reproduction effervescente, bouillonnante. Tapie les uns sur les autres, cette orgie humaine tatoue même les cuisses des femmes. Ces jets d’humains prennent corps et forment un langage puissant. Ils annoncent l’avènement d’une civilisation en devenir. Mais ces fragments d’attroupement, enserrés dans des enceintes, ces atomes de liens en quête de grands espaces, semblent aussi étouffer sous un flot de chaleur humaine compressif.
Ces figures voltigent en tous sens, au gré du hasard. Il n’y a aucun vide pour créer l’idée d’un mouvement et pourtant, ces masses humaines, ces conglomérats plus ou moins dilatés semblent tourner sur eux-mêmes. Cette semence déjà formée représente l’origine d’un monde. Elle suit un mouvement circulaire, une danse. Cette bacchanale compacte représente une matière extraordinairement vivante et sensible. « Devant les lèvres de l’autre, nos lèvres deviennent sensibles» dit Michel Foucault. Ces corps qui s’aiment et qui suivent le même parcours, tantôt amassés entre les bras de leurs mères géantes, tantôt leur servant de douces et flottantes couvertures, sont souverainement sensibles.
Si je suis si touchée par les œuvres de Wissen Ben hassine, c’est que j’y découvre un mythe fondateur qui représente la force motrice de mon propre travail. Ces mères silencieuses qui enlacent des milliers de corps, semblent se reposer en paix, sous leur humanité soyeuse. Un nouveau mythe surgit : celui des mères mais aussi celui des pères qui tiennent fermement leurs enfants par la main. Les pères peuvent être aussi une source protectrice et nourricière.
Là, plus de mythes ou de religions fantastiques avec leur cortège d’angelots irréels, plus de dieux surnaturels, de fils incréé, ou de figures dégénérescentes chassées du paradis, plus d’êtres originels souillés par une faute fictive, plus d’hommes brûlés par les dangers de la connaissance, mais un peuple naissant qui désire percer des champs immenses de savoir. Le travail de Wissen Ben Hassine est un émerveillement. Ce jeune artiste tunisien raconte une histoire, celle d’une révolution.
Le mythe est une espèce de symbole développé sous un espace temps non inscrit dans l’histoire réelle, on pourrait ici dire que le mythe des mères, tiré de ces tableaux singuliers à l’encre de chine, est plutôt articulé dans une époque bien précise et bien déterminée. Même si le mythe est constituée d’irréalités merveilleuses, il y a du fabuleux dans la conception d’un être vivant. Sans s’épaissir dans l’idolâtrie, il y a du merveilleux à le considérer comme un être entier. Les œuvres de Wissen Ben Hassine exprime un langage en état d’émergence, extrait du fond commun d’un monde déjà présent.
Par FADELA HEBBADJ