Par Fadéla Hebbadj
Les feuilles s’envolent… et des Anges apparaissent dans l’œuvre de Wissem Ben Hassine. J’y décèle un message, mais j’ai encore l’esprit noyé de préjugés.

Pour comprendre cette moisson vivante, grouillante d’individus complexes, qui tapisse la femme, j’ai cru trouver un soubassement précieux dans l’enquête entreprise par Vigné d’Octon, d’un livre paru en 1934 sur la vie et l’amour où des réflexions de médecins, psychiatres ou de simples personnalités littéraires, proposent de répondre au questionnaire de cet anticolonialiste controversé par Marie Bonaparte, sur la psychanalyse. Une phrase, dans cet ouvrage, correspond à ce que je ressens à l’égard de la peinture de Wissem ben Hassine : « La sincérité est la source de tout génie ».
Certains considèrent l’intuition ; cette fée de l’esprit, insuffisante pour produire une œuvre. Au génie s’attache la puissance de l’observation et du travail. Soit ! Mais cela ne me permet toujours pas de comprendre.
Je sors de cet embrigadement livresque intéressant, et tente de regarder l’œuvre sans le soutien d’aucun auteur.
Je vois une femme nue recouverte d’êtres étranges. Au centre, je vois l’œil d’un homme. Je vois des animaux : un chien, un taureau, un agneau, des petits poissons. L’œil ouvert est comme un phare balisant le contour des espaces intérieurs et extérieurs de la femme. Je vois deux grands personnages ; l’un s’appuyant sur l’épaule gauche de la femme, l’autre la tête posée sur son épaule droite, le visage à moitié éclairé. Au centre, la femme est un pôle assuré et rassurant.
Je m’égare encore, trompée par une multitude d’événements personnels. Je vois un monstre se nourrir d’entrailles féminines, vivant comme un vermisseau collé à la racine d’un chêne. La femme chêne servant de balustrade aux deux grands personnages attendrissants.
- Si la consolatrice avance, la consolée risque de tomber comme une feuille ? Quant à la mystérieuse observatrice à gauche, elle contemple l’ailleurs.
Pour Wissem Ben Hassine, ces êtres sortis certainement de son ténébreux subconscient, sont des anges protecteurs.
- Des anges protecteurs !
J’attends, assise sur mon canapé, la libération de ces bouts d’êtres greffés au corps de la femme, avec l’idée que son émancipation prendra du temps, et sentant l’objet d’art de Wissem Ben Hassine avec liberté, je ne vois toujours pas d’angelots parmi ce règne animal.
Mais en y regardant de plus près, j’aperçois la femme affirmant une détermination implacable, et, en effet, elle ne semble pas agressée par des bêtes menaçantes. Ses personnages, au contraire, l’habillent avec ferveur.
N’y aurait-il pas un homme à l’affût, avec son œil loucheur ? N’y aurait-il pas un nez reniflant un champignon gris et bleu ?
- Qui la soutient avec tant de beauté et de grâce ?
Ces brides d’êtres inachevés, captivant mon regard, recouvrent l’édifice féminin. L’événement, c’est justement la femme, avançant nue et lentement hors de la toile.
Il y a, en effet, une femme vivante, et tout autour, il y a la vie. Elle est nue et symbolise l’amour.
Je dissèque l’œuvre de Wissem Ben Hassine, et j’accède, curieusement, à un rêve éveillé. En contemplant ce tableau, en faisant abstraction de mes propres mobiles, en me détachant aussi de mes types d’associations personnelles, en quittant, en somme, l’univers de mes états mentaux et livresques, des êtres plus sympathiques m’apparaissent. Il me suffit à présent de ne plus procéder à des déplacements, mais à sentir.
La nudité cachée de la femme invite au bonheur érotique. Ces êtres étranges ont des ailes cachées prêtes à se déployer pour faire apparaître la Vénus humaine.
L’amour que lui porte ces esprits pressés, la révèle au monde. La vie fulgure autour d’elle, fruit de son organe fécondant.
Depuis son œuvre à l’encre de chine, des corps se sont formés qu’il est impossible de biffer. Ces corps ont grandi. Les œuvres moins récentes de Wissem Ben Hassine exprimaient déjà des femmes mettant au monde des couches soyeuses. Le processus de création est toujours à l’œuvre. Les embryons se sont développés. Ainsi l’acte créatif surgit. La toile s’exprime. Le peintre, dans l’amour, exécute sa volonté.
Sont-ce à présent des anges ou des bêtes ?
« Qui veut faire l’ange fait la bête » écrit Pascal, qui dialectise, dans Les Pensées, la grandeur et la misère de l’homme. Dans sa nature corrompue, il est soumis à une loi paradoxale et inquiétante.
Dans l’œuvre de Wissem Ben Hassine, les bêtes sont véritablement des anges, et ces anges sont aux aguets.
La femme est porteuse de multiples cultures. Elle reste droite, les yeux ouverts, et elle ne craint rien, protégée par ses anges. Dans mes représentations imaginaires, j’attends avec impatience le frétillement de leurs ailes !
Mais ils n’en ont peut-être pas.
Un tout petit personnage est tombé sur sa hanche gauche. Avec un fil, il a tiré du puits une clé. Y a t-il quelque part une serrure ? Il faut faire vite. La clé de l’ouverture au monde, c’est la femme. Les anges s’empressent. L’affection est palpable. La tendresse est partout. « Qui veut faire l’ange fait la bête ». Ce renversement inattendu exprime le monde qui vient.
Si la femme a le maintien d’une reine, c’est que ces bouts d’êtres, en effet, l’étayent plutôt qu’ils ne la dévorent.
Wissem Ben Hassine peint l’amour à travers la femme, productrice et formatrice d’anges.